Grand Palais : le plus gros chantier de rénovation de France
Patrice Januel, directeur des bâtiments et de la rénovation du Grand Palais, revient sur ce vaste projet qui va faire entrer ce géant de verre et d’acier dans l’ère de la modernité. Entretien mené par le MagBV.
Le Grand Palais était arrivé à un point où il devenait menacé. Comment avez-vous envisagé cette rénovation massive ?
Le Grand Palais, c’est un bâtiment vraiment performant pour l’époque, construit en 1900 pour l’Exposition Universelle, très rapidement en 3 ans. Les différents utilisateurs ont laissé des strates de construction à l’intérieur du Grand Palais, et à aucun moment, il n’y a eu de véritable réorganisation du bâtiment. Petit à petit, la qualité spatiale originelle du bâtiment s’est perdue, notamment toutes les grandes transparences et les transversalités. Les occupants ont installé leurs activités indépendamment les unes des autres… sont arrivés les services du ministère de l’Intérieur, le palais de la découverte en 1937, les Galeries Nationales avec André Malraux en 1966 et bien d’autres institutions encore...
Le monument ayant subi tant de transformations, il fallait remettre un peu de logique et de sens dans ces utilisations et, procéder à une réhabilitation et une modernisation de l’ensemble des installations techniques.
En quel état est le Grand Palais aujourd’hui ?
Le bâtiment va mal. Il y a 20.000 mètres carrés de toiture à refaire. Mis à part la grande verrière de la nef qui a fait l’objet d’une rénovation dans les années 2000, la plupart des verrières sont très dégradées… Il faut se souvenir qu’en 1900 l’électricité arrive à peine, donc toute la lumière vient de ces verrières, qui avaient beaucoup d’importance. Il y avait aussi de nombreux planchers verriers qui conduisaient la lumière naturelle à l’intérieur du bâtiment et qui ont été perdus au fil des années. D’une certaine manière, on redécouvre ce bâtiment...
Redonner une logique de fonctionnement tout en créant de nouveaux équipements comme une grande aire logistique en sous-sol, voilà le défi qui est actuellement en cours.
Comment passe-t-on d’un bâtiment plus que centenaire à un symbole de modernité sur lequel les yeux du monde entier seront braqués pendant les JO ?
Le Grand Palais depuis ses débuts voit « grand ». Tout y est généreux, avec comme symbole la grande nef bien sûr qui permet de faire des manifestations de très grande ampleur. L’image de modernité est liée naturellement aux dimensions incroyables de la Nef et de la verrière qui la couvre. C’est un lieu qui est tellement vaste : un kilomètre pour le périmètre du bâtiment, 70.000 mètres carrés de surfaces de plancher. On peut organiser des manifestations comme nulle part ailleurs. Avec la rénovation on va redécouvrir ce bâtiment, son extraordinaire potentialité de fluidité, d’ouverture, de flexibilité…
4 ans de travaux sont prévus pour un bâtiment qui avait été construit en 3 ans…
C’est vrai que l’on met presque plus de temps à le rénover qu’à le construire. Et on construisait à l’époque en même temps le Petit et le Grand Palais, le pont Alexandre III, la gare des Invalides... On n’arrive plus à comprendre comment de tels exploits ont pu être accomplis. À partir de fin décembre 2020 le Grand Palais va arrêter toutes ses activités, pour permettre un chantier global, très bien préparé.
Comment intégrer le Grand Palais sur le territoire plus général des Champs-Elysées ?
Lors du concours de 2013/2014 il avait été demandé aux architectes de ne pas se limiter au seul bâtiment du Grand Palais. Les aménagements paysagers tout autour doivent aussi permettre de reconnecter ce bâtiment à l’ensemble auquel il appartient.
Les alentours justement, c’est un point important du projet ?
Ce que l’on a vraiment travaillé c’est « l’accroche urbaine» en quelque sorte. On va, dans le projet, simplifier les entrées. Actuellement il y a des entrées tout autour du bâtiment à tel point qu’on ne sait jamais à quelle porte il faut se présenter. Nous allons disposer d’une entrée réservée principalement aux activités culturelles et scientifiques, l’entrée du square Jean-Perrin, et une entrée côté avenue Winston-Churchill pour tous les grands événements qui se dérouleront dans la Nef.
Il y aura un travail fin sur l’ensemble mais aussi un grand respect de la composition historique du batiment. Le square Jean-Perrin va être remanié parce qu’il s’est beaucoup dégradé et aussi parce que tous les publics du Grand Palais et du Palais de la découverte vont y converger. Tout le pourtour du monument va être requalifié. L’avenue Eisenhower va elle être pacifiée : aujourd’hui, on sort du métro sur des trottoirs très étroits, à l’avenir, tout sera bien plus généreux.
Comment mettre le Grand Palais sur le parcours touristique des visiteurs des Paris ?
Le problème avec ce monument c’est que quand on le découvre on sent que c’est un monument avec des proportions extraordinaires mais on ne peut pas y entrer, sauf bien sûr si l’on a acheté un billet pour un événement particulier. Il y a une attractivité très forte de ce bâtiment caractéristique d’une époque glorieuse mais le public reste aussi parfois frustré. Il voudrait en voir davantage On va essayer d’améliorer cela ; la rue des Palais sera librement accessible au public, le parcours de visite offrira de très belles vues sur le monument. À l’avenir, on pourra passer une journée entière au Grand Palais.
C’est la fameuse « rue » créée à l’intérieur. Cette partie « concessions » va quasiment doubler de volume, pour voir des restaurants, des libraires et boutiques s’installer. Comment réussit-on cela sans trahir les lieux ?
L’accès à des services, c’est une demande très forte de nos jours dans ce type d’établissement. Actuellement il y a beaucoup de mètres carrés non accessibles au public, notamment le sous-bassement qui était dédié à la logistique et avant encore aux écuries à chevaux… Tout cela, on va l’offrir au public avec cette rue des Palais. Et d’une manière assez étonnante : on rentrera par le bas du bâtiment et en remontant, on découvrira la rotonde d’Antin et la nef. Dans cette rue intérieure on installera des services, une grande cafétéria, tout ce qu’il faut pour permettre au public de se sentir bien. On pourra envisager une programmation culturelle aussi : il ne s’agit pas de trahir l’esprit du lieu mais bien au contraire de revenir à l’essence de ce qu’est le Grand Palais : un lieu de vie et de culture.
Le bâtiment est classé : concrètement comment avez-vous imaginé la rénovation en respectant l’héritage historique des lieux ?
D’un côté, il y a l’architecte en chef des monuments historique, François Chatillon, qui supervise tous les travaux et qui a lui-même sous sa propre maîtrise d’œuvre tous les travaux de monuments historiques. De l’autre, le cabinet LAN, qui est chargé du réaménagement, des interventions plus contemporaines sur le bâtiment. Ces deux architectes sont amenés à travailler de concert afin que toutes les interventions soient respectueuses du bâtiment. Bureau Veritas nous accompagne pour le schéma directeur de rénovation et d’aménagement du Grand Palais. Une mission complète avec l’examen de tous les aspects de solidité, de sécurité, a été confié à l’entreprise, leader sur son segment d’activités. Cette mission est très importante, très difficile aussi car on est sur un bâtiment dont on ne connaît pas forcément toutes les caractéristiques. Des planchers et des poteaux construits il y a 120 ans cela ne se modélise pas facilement !
Une fois livré, le « nouveau » Grand Palais disposera d’une nouvelle plateforme logistique pour accueillir des événements privés. C’est une petite révolution ?
Il suffit d’être là quand une exposition se monte pour voir que dans ces moments, beaucoup de choses se passent sur la voie publique, de jour comme de nuit. Pour la FIAC, il peut y avoir 0 à 40 camions qui déchargent en même temps et nous sommes forcés de condamner des rues. La plateforme logistique permettra à de très grands semi-remorques d’accéder aux sous-sols. Toutes les parties du bâtiment seront desservies par un réseau de circulations logistiques et de grands monte-charge ; la vie de l’établissement va en être transformée.
Crédit photographique : 2018-©-LAN